Quel
est l’apport de l’œuvre de Tahar Ben Jelloun dans la culture marocaine ?
Plan
- Introduction
PREMIERE PARTIE :
Biographie de
Tahar Ben Jalloun
DEUXIEME PARTIE :
Le système des
personnages
TROISIEME PARTIE :
Le système
narratif
QUATRIEME PARTIE :
La
parabolisation de l’histoire
- Conclusion
Introduction
L’on assiste, depuis une quinzaine d’années, à
une nette évolution de la littérature maghrébine de la langue française.
Cette évolution a trait, à un effort de
recherche sur le plan formel, et s’annonce, dans une certaine mesure, comme la
concrétisation et le prolongement des principes esthétiques de la revue
souffle, et l ‘influence a été considérable tant au Maroc que le reste du
Maghreb.
Cependant, si l’on peut dater de cette époque
l’intérêt manifeste des auteurs maghrébins pour les expériences formelles, il
convient de préciser qu’une telle préoccupation existait déjà, ou du moins se
profilait dans certaines œuvres antérieures.
S’agissant de la production contemporaine, sans
vouloir la réduire, l’on peut dire néanmoins que, globalement, l’on y trouve en
activité certaines des orientations théoriques de base de ce mouvement, et qui
consistent en promouvoir de nouvelles pratiques d’écriture.
PREMIERE PARTIE :
BIOGRAPHIE :
Ben Jalouse, Tahar (1944-), écrivain marocain
d'expression française, qui fut lauréat du prix Goncourt en 1987 pour son roman
la Nuit sacrée. C'est aussi un poète de l'immigration.
Originaire de Fès, Tahar Ben Jeunet effectua
ses études secondaires à Tanger, puis étudia la philosophie à l'université de
Rabat, il écrivit son premier poème l'Aube des dalles. Il a deux cultures : la
culture occidentale et la culture orientale.
Journaliste au journal le Monde, il publia des
recueils de poésie, comme Cicatrices au soleil (1976) et Les amandiers sont
morts de leurs blessures (1976), et se fit connaître par un récit, Hari Rud
(1973.
Il dénonça le racisme dans son essai
Hospitalité française (1984), mais également le système féodal et les
inégalités de son pays d'origine dans Moha le fou, Moha le sage (1978).
Tahar Ben Jelloun se considère comme un
écrivain contemporain, doté d'une réflexion moderne sur la littérature.
Ses romans les plus connus sont l'Enfant de
sable (1985) et la Nuit sacrée, ouvrage récompensé du prix Goncourt en 1987.
DEUXIEME PARTIE :
LE SYSTEME DES PERSONNAGES :
Ce qui attire, au premier abord, l’attention du
lecteur des romans de Ben Jelloun, c’est la multiplication des voix qui s’y
entrecroisent et s’y alternent, de sorte que le récit, loin d’être pris en
charge par un narrateur unique comme c’est généralement le cas dans les romans
traditionnel, se partage ici entre plusieurs personnages. Aussi, le personnage s’efface-t-il
totalement derrière son statut, rappelant en cela la pratique de la halqa
populaire ou les différents protagonistes se réduisent aux rôles qu’ils sont
charges de représenter et d’assumer.
La halqa veut dire littéralement le cercle qui
se forme autour d’un conteur. Elle ne consiste pas toujours dans le récit d’un
conte, mais peut porter aussi sur d’autre manifestation comme ce qu’on peut
appeler des jeux de rôles. La halqa est animée par plusieurs personnages. Ces
jeux, souvent burlesques et comiques, visent généralement à illustrer des
situations sociales et économiques tranchées, sous-tendues, la plupart du
temps, par une idée d’opposition : l’homme / femme, le riche/pauvre, le
patron/employé.
C’est pourquoi, nous n’avons guère affaire à de
véritables personnages romanesques, mais à de simples voix illustrant des
rôles.
1/ LA VOIX ET LES STATUTS SOCIAUX :
Les personnages de Tahar Ben Jelloun ne
bénéficient pas d’une réelle dimension psychologique. Et en cela, ils ne
correspondent guère à la conception classique, telle que la rappelle
Robbe-Grillet (le personnage, écrit, doit avoir un nom propre, double si
possible : Nom de famille et prénom Il doit posséder un caractère un
visage qui le reflète, une passe qui modelé celui-ci et celui-là. Son caractère
dicte ses actions, le fait réagir de façon déterminée à chaque avènement.
Ce sont là les principaux attributs qui fondent
l’individualité et l’autonomie du personnage traditionnel, et y qui ont étés
rejetés et subvertis par les nouveaux romanciers.
Or, s’il est vrai que les personnages de Ben Jelloun
ne sauraient se confondre avec ceux des tenants du nouveau roman, il ne demeure
pas mois qu’ils se distinguent par la même dépersonnalisation qui les réduit
ici à de simples symboles ou porte-parole de catégories sociales, culturelles
et économiques déterminées.
-Ainsi dans Harrouda, à cote des voix
des personnages historiques (y Idris, fondateur de Fès et bd DEL
Kreml leader rifain) dont la psychologie et la stature constituent des
données connues d’avance, et qui, comme
telles, s’imposent d’emblica à l’auteur, il existe des voix appartenant, à des
personnages romanesques : le narrateur, la mère et les artisans.
Ce qui les distingue, c’est d’abord l’anonymat.
Aucun d’eux ne porte de nom. Ce défaut de nomination et donc de
personnalisation, à lui seul, suffit à montrer que le personnage en tant que
tel est y occulte par son statut et sa condition sociale.
Dans cette perspective, la mère du narrateur
n’est ici qu’un cas parmi d’autres. Illustrant la condition de femme
traditionnelle en milieu urbain totalement soumise au mari et soustraire à la vie. Et les rencontres périodiques des
femmes au hammam, sur les terrasses des maisons montrent que leur sort est
interchangeable et sur leur condition est la même.
La mère du narrateur ne se distingue donc en
rien de ses consœurs. Elle n ‘est ici que leur porte-parole.
A travers de la nature des principaux personnages
dans les romans de Ben Jelloun, nous constatons que la plupart d’entre eux n’accèdent
pas au nom et sont dépourvus de toute apparence physique. Et même ceux qui en
bénéficient ne jouissent guère d’une individualité propre et d’un caractère
spécifique apte à fonder leur autonomie psychologique.
L’on sait que chez les nouveaux romanciers,
cette absence de personnalisation, de caractérisation physique et psychologique
du personnage répand, comme l’expliquait déjà Robbe-Grillet dans les années de
60 à une nouvelle problématique socioculturelle de l’individu. A ce sujet,
liant l’importance d’avoir un nom et un caractère au phénomène de la montée
triomphante de la bourgeoisie au 19è siècles, il notait :
(Le
roman de personnage appartient bel et bien au passé, il caractérise une
époque : Celle qui marqua l ‘apogée de l’individu. Peut-être n’est-ce pas
un progrès, ajoute-t-il, mais il est certain que l’époque actuelle est plutôt
celle du numéro matricule.)
Les personnages de Ben Jelloun sont connus à
travers leurs voix, leurs discours, net en disant je, c’est en fait à un nous
qu’ils renvoient. En effet, les clivages thétiques, tribaux, sexuels,
économique sont tel que l’ (individu est d’abord un élément relevant de l’une
de ces différentes catégories, et son statut est avant tout celui du groupe
auquel il appartient C ‘est ce qui
explique l’anonymat des personnages et l’inconsistance de leur caractère. Car
leurs actions et comportements sont ceux du groupe tout entier.
2/ L’ONTAGONISME DES STATUS :
Les manifestations de ces voix et leur
alternance des romans transforment ces derniers en autant de scènes (la halqa)
ou s’organisent de jeux de rôles par des personnages porte- parole ou symboles
et ou ce qui est mis en scène, c’est la confrontation et l’affrontement des
statues, et en définitive la dramatisation des clivages (homme, femme, adulte,
enfant, employeur, employé…), qui débouchent la plupart du temps sur des
situations mutilantes pour les catégories faibles.
La femme apparaît strictement cernée dans les fonctions qui lui
sont attribuées: comme épouse (satisfaire les besoins sexuels et culinaires du
mari) et mère (assurer la descendance de ce dernier en donnant naissance à un
enfant)il est ainsi de la mère du narrateur dans harrouda ses rapports avec ses maris successifs qui se
déroulent dans une incommunicabilité totale, limites au rituel des repas à
servir et aux relations sexuelles nocturnes, non moins rituelle ou les louanges
à Dieu faisaient écran manifestation d’amour ou de tendresse.
(Louange à Dieu le très haut, récitait le
deuxième mari, qui m’a donné cet enfant pour champ à cultiver, belle et pure.
Un trésor d’obéissance et de soumission. Puisse cette enfant me donnée un
héritier qui restera sur terre Te louer et T’adorer.
C’est l’absence de cet héritier qui a aggravé
la condition de la mère Zahra, au point de la faire déboucher sur la foulée.
L’enfance, non plus, n’est pas reconnue en
elle-même et quand elle l’était c’est alors comme une phase d ‘impureté qu’il
convient, rapidement de dépasser pour accéder à l’âge adulte c- a- d l’âge des
rôles et des statuts. C’est ce qui révèle le discours tenu à l’enfant dans Harrouda,
à la veille de sa circoncision.
(L’enfance me disait une voie, doit cesser un
jour. Elle ne peut durer. Tu l’as
consommé dans la rue et les bains maurs. Arrive un moment où il faut la
quitter. Tu verras ça comme un éclair et surtout ne le fait honte, par
panique ! Pas de peur ! Pas de larmes. Tu arrives à l’âge de l’homme
et tu passes par le droit chemin de l’islam et de la pureté que tu as accumulée
durant ton enfance. Elles se sont ramassées et tassées dans ce morceau de chair
à couper….).
L’enfance est ainsi vue, dans le cours de la
vie de l’individu comme une sorte de terrain vague incontrôlable et inquiétant.
3/ DOMINANTS/DOMINES :
Les rapports entre les hommes transparaissent à
travers deux catégories de voix : Celles des dominants, et celles des dominées,
la nature des protagonistes mis en présence ainsi que le contenu de leur
discours montre que l’antagoniste est socialement général et historiquement
endémique. Dans Harrouda, les notables s’opposent aux artisans, les
considèrent des zoufris; en raison de la consommation de kif et la
fréquentation des cafés, ils les méprisent et craignent la mauvaise influence qu’ils
pourraient exercer sur leur progéniture.
(On pourra, pensent-ils, rassembler tous les
cafés dans un même quartier ; quadriller le terrain, ficher les zoufris, ils
n’ont qu’à se détruire s’ils veulent, mais qu’ils ne contaminent pas nos
enfants !).
En effet, cette opposition n’est pas
conjoncturelle. Elle est beaucoup plus profonde en ce qu’elle est inscrite dans
le statut même de deux communautés, dans une ville Fès qui se considérant comme
la capitale intellectuelle du pays instaure une nette différence entre la main
et la pensée.
C’est ainsi que les fils des notables avaient
le privilège d’accéder aux écoles et à l’université, alors que les fils des
artisans n’avaient d’autres possibilités que celles d’apprendre le métier de
leurs pères et de devenir à leur tour des travailleurs manuels.
Ainsi s’est instituée l’infériorisation de
l’artisan qui se sentait méprisé rabaisse, rejeté, n’ayant pas de place dans la
société que se faisait.
La plupart de ces notables ont abandonné Fès
pour s’installer dans la ville moderne, en emportant avec eux, dit le narrateur
les structures d’une féodalité esclavagiste.
C’est précisément le cas du patriarche dans
Moha ou cette mentalité s’illustre, notamment, dans le rapport de ce dernier
avec Dada
La catégorie des hommes domine qui manifeste
dans les romans est essentiellement constituer par les travailleurs ; les
artisans dans Harrouda et les ouvriers dans la réclusion.
Les premiers s’insurgent contre l’oppression et
le mépris des notables et les seconds, contre les conditions de vie qui leurs
sont imposés dans l’exil. Mais comme l’émigration n’est que le prolongement et
l’aboutissement d’une situation d’inégalité vécue dans le pays origine, c’est
donc le même système d’oppression qui se trouve, en fait, dénoncé par tous.
Enfin, à travers la technique la plurivocité,
l’objectif visé est certes le dévoilement des structures de l’oppression, mais
aussi symboliquement la prise de parole par ceux qui en sont exclus. C’est du
moins sur ces perspectives que se termine Harrouda, s’agissant de la
mère, mais qui peut être entendus à tous les opprimés. Théoriquement cette
notion, à partir d’une réflexion de Barthes sur le pouvoir de la parole, Ben
Jalloun voit un moyen libre de briser le silence inhibiteur dans lequel sont
enfermés les opprimés du système.
(Le
plus important, écrit-il, ce n’est pas ce que la mère dit mais qu’elle ait
parlé. La parole est déjà une prise de position dans une société qui la refuse
à la femme.)
Il s’agit là, par conséquent, d’une brèche
pratiquée dans un ordre endémique qui veut que certains parlent haut et fort,
et que d’autre subissent avec résignation et souffrent en silence.
TROISIEME PARTIE :
LE SYSTEME NARRATIF :
La pratique de la pluralité des voix et des
jeux de rôles met en œuvre un ensemble de récits, dépendant tous d’un récit de
base qui les introduit. En effet, dans chaque roman, nous avons un narrateur
qui présente différents personnages et leur cède la parole. Et il arrive
également que ceux-ci introduisent à leurs tours, d’autres voix, et donc
d’autres récits. La structure narrative de chaque roman se distingue donc par
un emboîtement de récit d’au moins deux niveaux.
Ce procédé de l’emboîtement des récits qui
caractérise notamment les contes des (milles et une nuit) a été étudié par
Todorov sous le nom d’enchâssements pour en faire le fondement de sa théorie
des niveaux narrateurs. Pour lui, la question des niveaux narrateurs commence à
partir des stades des anachroniques.
(Toute anachronie, note-t-il, constitue par
rapport au récit dans lequel il s’insère un récit temporellement second. Nous
appellerons désormais (récit premier) le niveau temporaire du récit par rapport
auquel une anachronie se définit comme telle.
Dans les romans de Tahar Ben Jelloun, nous
constatons que les voix introduites par un narrateur extralinguistique ou
homothétique dont relève le récit primaire, prennent en charge des récits ou se
trouvent retracés, non seulement l’origine sociale de leurs auteurs, mais aussi
les circonstances et les événements responsables de leurs conditions actuelles.
Il est aisé de constater dans ses romans, les
relations qu’entretiennent les anachroniques métadiégétiques avec les récits
primaires ont formellement une fonction explicative du genre comme :
(Voilà comment on a été conduit à telle situation), en ce sens que le contenu
des discours métadiégétiques nous renseigne sur le passé des personnages et les
circonstances qui les ont acculés à la situation d’oppression et de
marginalisation narrée dans les récits primaires. Mais, comme ces discours
comportent également les éléments d’une situation passée, appréhendée
généralement de façon positive par rapport à la situation (négative) présent,
il en résulte une fonction thématique pure qui, véhiculant un contraste, vient
pesamment s’articuler à la fonction explicative au point de la reléguer au
second plan.
En effet, ces anachroniques métadiégétiques
dont le contenu porte sur le passé chargé de mettre en perspective certains
éléments constitutifs de l’identité et porteurs de valeurs positives, éléments
qui n’existent plus dans le présent ou ils ont étés corrompus.
Ce qui
se dégage, en définitive, c’est une relation d’opposition (souvent
tranchée) : autant le passé, lie à la terre, à la nature à certains
idéaux, est euphorique, autant le présent, en rapport avec la ville, dominé par
l’oppression, la misère et la corruption, apparaît comme dysphorique.
Espace rural/urbain:
Dans tous les romans, contrairement à l’espace
urbain dont se reflètent les carences et les mutilations, l’espace rural ou ce
qui le représente ou le suggère (la terre, la source, l’arbre…..)Est considéré de façon positive .Il s’annonce
comme le lieu de l’identité, des valeurs, de la joie de vivre et de
l’épanouissement de l’être.
Dans Harrouda, la mère qui voyait
amèrement sa jeunesse s’étoiler sans avoir (encore vu la mer ni un champ d’épis
verts) n’a connu le bonheur qu’avec un seul homme (le père du narrateur) qui
est resté-de par sa profession- près de la terre :
(Ce que
j’aime le plus chez ton père, c’était l’odeur
d’épices qu ‘il promenait avec lui. Il vendait toutes sortes d’épices.
Il sentait la terre. Il m’a donné un peu de bonheur.).
On peut rapprocher ici la nostalgie de la mère
de celle de l’émigre de la réclusion, lui, avait connu un véritable état
d’épanouissement en milieu rural :
(Je
suis né, dit-il près d’un ruisseau au cours d’eau hérité. Tôt mêlé à la terre
grise, je jouais avec les pierres.)
Présent/passé :
Plus qu’ailleurs, c’est dans la prière que
l’opposition entre le présent et le passé se trouve mise en scène de façon
nette et explicite, tant sur le plan narratif que thématique.
Nous avons affaire, dans ce roman, à un récit
primaire assuré par un narrateur extralinguistique qui nous relate le voyage du
trio : Yamna, Sindbad et Boby, en compagnie de l’enfant, de Fès à Tiznit,
et deux récits métadiégétiques d’une
certaine ampleur, rapportés par deux voix, celle de Lalla Malka et celle
de Yamna.
Ces deux catégories de récits se situent, en
effet, dans un rapport de nette opposition : le premier fait état d’un
présent aliène et négatif, tandis que les seconds retracent un passé glorieux
et éminemment positif.
Telle apparaît la fonction des anachroniques métadiégétiques
dans les romans de Ben Jellon : Explicatives, mais surtout thématique, et comme
instaurant un contraste par rapport à la situation die gestique, cette fonction
a été enfle chie dans le sens d’une opposition quasi dichotomique entre deux
espaces (l’espace rural/urbain) et de temps (le passe/présent), avec une
tendance assez nette de faire correspondre les éléments des deux séries :
espace rural- passé, espace urbain - présent.
Ceci s’explique, en effet, dans la mesure ou si
la ville appartient effectivement au présent, la compagne en tant que telle, c
–a- d en tant que creuset de certaines valeurs positives, semble plutôt relever
du passé, car ainsi que nous l’avons constaté à plusieurs reprises, les maux et
les travers de l’espace urbain ont tendance, de plus en plus, à se répondre
dans l’espace rural et le corrompre de son tour.
Il convient, toutes fois, de signaler les
limites de cette valorisation de la compagne et du passé qui n’étaient pas
guère exempts, comme en témoignant certains discours, d’injustice et tyrannie,
vis-à-vis notamment de la femme. Mais force est de constater que c’est dans ce
temps et cet espace qui existaient ces valeurs, et par conséquent la véritable
identité de l’être marocain, aussi les différentes voix des opprimes qui
prennent la parole, ne font-elles chacune à sa façon qu’aspire cette identité,
mutilée ou inexistante dans le présent.
Sur le plan scriptural, le processus de
l’opposition n’est pas seulement à l’œuvre dans la structure du discours
narratif, mais il transparaît aussi dans le moyen d’expression, le langage
employé pour caractériser les éléments antithétiques. Et à ce sujet, autant –
le discours relatif au présent et a la ville, est transparent, autant celui se
rapporte à l’espace et au passé et époque
S’agissant du premier, la discrétion et la
situation urbaine et d’un réalisme qui confine souvent au reportage
journalistique.
Il en est ainsi notamment des comportements des
citadins dénoncés par Moha, ainsi que les différentes misères auxquelles les
voyageurs de la prière ont été confrontés le long de leur itinéraire. Le
caractère dépouillé et commun de ce langage souligne, à sa façon, la platitude
d’un réel qui n'offre nulle perspective d’épanouissement et de libération.
Par contre, dans les récits métadiégétiques, lorsqu’il
s’agit de se rappeler du passé, de la compagne et des valeurs qui les
caractérisaient, nous sommes en face d’ un langage figuré, d’autant plus opaque que le récit se muet souvent en poésie
ou finit par s’estomper dans la politique et le lyrisme .Participent a cette
dimension certains mots -thèmes <la terre, la source, l’olivier> qui sont
récurrents dans l’œuvre ou ils tendent à suggérer les soubassements d’ une
mémoire et d’une identité authentiques par l’opposition aux valeurs
artificielles et fausse de la ville.
A remarquer que cette mise en perspective du
passé qui manifeste dans une forme qui relève elle-même du passé. En effet, la
technique de l’enchâssement des récits est une pratique passablement révolue. En
occident, l’enchâssement comme forme romanesque dominante remonte au 16 siècle
même, sous l’influence des contes des Mille et une nuit, il a caractérisé le
roman picaresque. De ce fait, suivent les remarques de Genette, il apparaît à
nos jours, comme un procédé archaïsant et désuet.
Au Maghreb, cette forme, souvent inséparable
des contes de voyage, constituant jusqu’à ces dernières années l’un des aspects
notables de la culture populaire.
Mais ces contes dont le Halqa était le cadre
privilégier n’avait pas toujours pour but de distraire l’assistance. Ils
étaient également destinés à véhiculer un message. ce qui confère à l’histoire
racontée l’allure d’une parabole ou d’une allégorie que l’assistance était
invitée à déchiffrer.
C’est précisément les cas de l ‘histoire de ce
pèlerinage avorté au tombeau de Ma-al-aynan, de la vie, bien particulier de
Zahra dans l’enfant et la nuit.
QUATRIEME PARTIE :
LA PARABOLISATION DE L’HISTOIRE :
Si le procédé d’écriture de Ben Jelloun se
présentent comme une simulation des aspects majeurs de la thématique des
romans, on peut constater, par ailleurs, que dans certains d’entre eux
l’histoire n’en est que la mise en fiction sous une forme parabolique et /ou
allégorique.
Il en est ainsi de la prière et de l’enfant de
sable –la nuit, en raison tant des caractères singuliers de leurs histoires que
de certaines indications qui nous invitent à dépasser le sens littéral, pour
accéder à un sens second.
1/ La parabole –allégoriques de
l’échec de la reconquête des valeurs :
-Sur le plan de la diégèse, une nette rupture
intervient dans la prière à partir du quatrième chapitre (les pages blanches du
livre .p :47), alors que jusqu’ici on nous relatait, de façon réaliste, et
les circonstances de la naissance d’ un enfant baptisé Mohamed Mokhtar ainsi que
les heureux changements intervenus plus tard dans son caractère , le
lecteur se trouve brusquement embarquer dans une histoire insolite ou trois
personnages étranges décident d’emmener un enfant , non moins étrange, au
tombeau de Ma-al-aynan, à Tiznit dans le sud de pays.
L’aspect allégorique de l’histoire préparé par
cette rupture se dégage tout d’abord de sa nature où domine l’étrange, le
fantastique et le merveilleux qui la dérobent totalement à l’ordre de la
réalité et du vraisemblable caractérisant le début du roman.
Le merveilleux, ou plus exactement le
fantastique –merveilleux ouvre et clôt l’histoire, tandis que l’étrange marque
la fin de son développement.
-Sur le plan littéral, l’enfant comme cela se
dégage du premier chapitre du roman et des paroles de Lalla Malika, c’est
Mohamed Mokhtar au terme de sa fameuse métamorphe qui équivaut à une deuxième
naissance-naissance ou renaissance, au cours de laquelle, s’étant débarrassé de
sa veulerie et de sa médiocrité, il doit pleinement se réaliser, aller vers le
sud s’imprégner de la mémoire des ancêtres.
L’enfant, Mohamed Mokhtar représente le pays
lui-même. Et cela est perceptible à travers un ensemble des indices.
L’assimilation du pays au personnage
transparaît tout d’abords dans la coïncidence de leur naissance : Mohamed
Mokhtar est né un jeudi matin de l’an 1944.
C’est sensiblement à cette époque que se
déclenchera de façon décisive et irréversible, le mouvement national qui
débouchera plus tard, sur l’indépendance du pays. Cette datte marque donc, en
quelques sortes, la naissance ou la renaissance de la nation marocaine.
Un tel rapprochement se dégage par ailleurs,
dans une certaine mesure, de la similitude des rituels qui ont jalonné
l’accomplissement douloureuse des deux évènements : d’une part les
invocations a caractère religieux , destiné a affirmer le courage de la mère et
a facilité son accouchement, de l’autre les slogans nationalistes et politiques
, déclamés sur un monde incantatoire et visant a galvaniser les citoyens afin de les mener à lutter, avec plus de
détermination, contre la répression coloniale.
-Or la mission n’atteindra pas son but, quelle
est la raison de cet échec ?
Nous constatons que les personnages qui se sont
chargés d’entourer l’enfant sont des êtres faibles et diminue par les
injustices et la marginalisation : Yamna est une ancienne prostituée et
mendiante, Sindibad et Boby sont des clochards qui vivent à la marge de la vie.
Ils ne constituent en fait qu’un échantillon et
de ces gens profondément perturbés qu’ils ont rencontrés sur leur route
(p : 220.)
Comment, dès lors, des êtres aussi a amoindris
peuvent-ils remplir une mission d’une telle envergure et renouer avec les
valeurs et les vertus des ancêtres ?
L’échec est inscrit dans l’être même des
personnages, mais aussi dans l’événement qui a arrêté leur voyage : cette
trace de sang qui dans une certaine mesure, comme le signale Gontard,
symbolisait la guerre dans le sud.
Mais si l’échec est cuisant (qui importe qu’il
soit intérieur ou extérieur au personnage ou les deux a la fois ) l’histoire se
termine toute fois sur une note optimiste : la prise en charge , une
deuxième ,de l’enfant par de nouveaux Etres dont l’ apparence, digne, augure de
la réussite de la nouvelle mission : Une femme respectable, et belle et
deux hommes dont l’aspect rappelle, de façon symbolique, l’épopée de Ma-al-Aynan et de ses vaillants
guerriers.
(Deux
hommes marchaient derrière le cheval. Ils portaient une immense gandoura bleue
et un turban de même bleu sur la tête. La couleur de leur visage était très
brune, presque bleue) (p : 231.
Ce sont ces hommes gardiens de la femme-
mémoire qui se chargent désormais de l’enfant-pays.
2/La parabole de l’ambiguïté et
de la dualité :
Ben Jelloun a exploité les données de la Halqa
populaire en tant que spectacle de saynètes et de jeux de rôles ; mais
aussi en tant qu’espace ou se déroule le conte et qui lui confère des
caractéristiques et une dimension particulières.
Dans l’enfant et la nuit, l’aspect cantique de
l’histoire s’illustre, à un premier niveau. Celle-ci se déroule, en effet dans
la Halqa, comme on sait, se tient généralement sur une place publique. Et la
relation d’un conte est souvent accompagnée d’un échange verbal entre le
conteur et l’assistance.
Ce phénomène domine surtout dans l’enfant ou la
communication avec l’auditoire revêt plusieurs formes.
-Formules conventionnelles destinées à établir le contact et instaurer
une atmosphère d’entente et de compréhension, voire de connivence, genre :
(O amis), (gens du bien), (levez la main droite et dites après moi…).
-Invitation des auditeurs à deviner la suite de
l’histoire. Ainsi de l’épisode ou le père eu l’idée de corriger le destin de sa
huitième naissance ; le conteur interrompt son récit et dit :
(Il
était heureux d’avoir en cette idée. Quelle idée ? Vous allez me dire. Et
bien, si vous permettez, je vais me retirer pour me reposer, quant à vous, vous
avez jusqu’à demain pour trouver l’idée géniale que cet homme (…) a eue
quelques semaines avant la naissance de notre héros) (p : 20.
-Invitation (indirect) à l’interprétation, au
moyen d’un langage allergénique, et insistance auprès de l’auditoire sur le
caractère énigmatique de l’histoire.
A ce sujet, presque tous les conteurs suspendent,
de temps en temps, leur récit pour attirer l’attention sur son sens figure.
(Cette
histoire, signale le premier conteur, a quelque chose de la nuit ; Elle
est obscure et pourtant riche en nuage ; elle devrait déboucher sur une
lumière faible et douce….) (P : 15.)
Ce qui ressort de toutes ces interventions
verbales qui habituellement jalonnent le récit d’un conte dans une Halqa, c’est
le fait que l’histoire n’soit pas une fin en soi. Admettant souvent une
pluralité de significations, elle donne fréquemment lieu à un débat, et peut à
la limite, n’apparaître que comme une sorte de canevas à partir duquel chaque
auditoire, suivent ses motivations et ses expériences et capacités créatrice,
est en mesure d’élaborer sa propre version, ou au moins accéder au niveau de
signification auquel l’autorisent ses facultés.
CONCLUSION :
La
situation actuelle dont des écrivains comme Tahar Ben Jelloun nous semble être
parmi les plus représentatifs, apparaît comme un prolongement, mais aussi un
dépassement des positions initiales de souffles. Prolongement, en raison de la double
préoccupation (thématique et scripturale) qui animent ses œuvres, et
dépassement en ce que ses recherches, en matière d ‘écriture, s’alimentent
aussi bien aux formes esthétiques issues de son patrimoine culturel qu’à
celles, novatrices, provenant de l’occident ainsi sur une certaine dualité
culturelle dont la perspective a toujours gêné les promoteurs de souffle.